Le Conseil de la culture célèbre Jocelyne Saucier et son regard sur le nord

7 novembre 2025

par : Davide Buscemi

photo : Photo : gracieuseté.

Distinguée par le Conseil de la culture, la romancière Jocelyne Saucier réaffirme que le nord constitue moins un décor qu’une respiration intime : un territoire de lenteur, de silence et de liberté, où l’acte d’écrire s’enracine dans l’attachement profond à l’Abitibi-Témiscamingue.

Le Conseil de la culture vient de vous décerner le prix Membre honorifique 2025. Que représente pour vous cette reconnaissance régionale ?

C’est un honneur de la part de cet organisme important ! C’est aussi un marqueur d’appartenance. On vient me dire que j’appartiens à cette communauté d’artistes et d’écrivains qui ont fait le choix de vivre et de créer en région. Il y a 15 ans, j’étais au Salon du livre de Sudbury (Ontario). Lors d’une table ronde, la question posée portait sur le besoin de reconnaissance. J’ai répondu que non, pensant que je n’avais pas besoin de reconnaissance et que le plaisir d’écrire me suffisait.

Tel était mon sentiment jusqu’à ce que je reçoive le Prix des cinq continents de la francophonie. Précédemment, j’avais été finaliste. C’était une époque où j’avais un succès « intime ». La réception de ce prix fut un très grand soulagement, car jusqu’alors j’éprouvais une douleur en moi qui a disparu avec l’obtention de cette distinction.

Votre œuvre est profondément enracinée dans l’Abitibi-Témiscamingue. Comment cette région continue-t-elle d’inspirer votre écriture ?

Tout n’a pas été dit ! Je ressens un vrai plaisir de l’écriture. C’est ça qui me tient depuis 45 ans. J’habite ici depuis très longtemps. Ce qui m’intéresse sans cesse, c’est le nord et les gens qui y habitent. Ici, il y a aussi la liberté de penser, la force de vie de cette société jeune et on a un grand espace qui donne le sentiment qu’on a chacun un petit bout de cette planète qui nous appartient. La jeunesse du territoire fait qu’on ne ressent pas le poids de la tradition : cette chape de plomb qui nous écrase.

Dans Les Héritiers de la mine (2000), la mine devient le miroir d’une région. Comment percevez-vous aujourd’hui l’évolution du monde minier ?

Le secteur a beaucoup évolué : expertise locale, bons salaires, sécurité accrue. Il reste le défi environnemental, notamment en lien avec la qualité de l’air.

Il pleuvait des oiseaux (2011) a marqué les lecteurs. Ce succès a-t-il transformé votre rapport à la création ?

Non. Ce fut inespéré et cela a redonné vie à mes livres antérieurs, mais mon rapport à l’écriture reste intime.

Votre écriture semble partir du silence et de la lenteur. Est-ce une manière de résister au bruit du siècle ?

Oui. Le silence et la lenteur sont indispensables. La jeune génération vit très vite ; la lenteur devient un luxe qu’il faut apprécier.

Dans À train perdu (2020), le rail devient métaphore du passage. D’où vient cette fascination ?

J’aime le mouvement. Dans un train, on est dans un cocon, on se laisse aller. Je prendrais le train plus souvent si nous en avions encore en région.

Votre œuvre traverse souvent la frontière Québec-Ontario francophone. Cette frontière est-elle surtout géographique ?

Géographique et économique, oui, mais socioculturellement, nous avons développé ici des institutions culturelles fortes qui ont ancré notre communauté.

Beaucoup de vos personnages choisissent la marginalité et la retraite. Est-ce un écho personnel ?

Le besoin de solitude me ressemble. Il va avec l’écriture : s’abstraire du monde pour vivre d’autres vies. À Cléricy, j’ai une petite communauté autour du lac, et je vis entourée de forêt.

À l’époque de la surmédiatisation, un roman peut-il encore changer la perception d’un territoire comme l’Abitibi-Témiscamingue ?

La littérature peut en changer la perception. Je pense notamment à Catherine Perreault. C’est très important de faire vivre une ville, un pays dans l’imaginaire des gens. La Ville de Paris existe dans l’imaginaire des gens. Pourtant, tout le monde n’y est pas allé. Nous avons chacun notre Paris, car il existe dans les livres, les films, les chansons. On a chacun notre Paris ! Donc, on peut avoir chacun notre Abitibi-Témiscamingue !

Vous avez affirmé que « le nord n’est pas un décor ». Comment le définir aujourd’hui ?

La région existe et s’affirme. Elle a sa personnalité et se distingue du reste du Québec.

Votre plus récent ouvrage, Je n’ai jamais lu Baudelaire (2022), porte un titre intrigant. Pourquoi ?

Pour dire qu’on peut porter une chemise carreautée et des bottes de mineur tout en ayant une grande culture.

Travaillez-vous à un nouveau projet ?

J’avais commencé un roman, mis en suspens pendant la maladie de mon mari. J’espère m’y remettre.

Quels auteurs vous ont influencée ?

Alessandro Baricco pour la musicalité, Gabriel Garcia Marquez et la littérature sud-américaine, Emmanuel Carrère, et j’aime Hemingway.

Le film Il pleuvait des oiseaux a fait découvrir votre univers. Comment avez-vous vécu cette adaptation ?

J’étais curieuse de voir comment on transposerait mon roman dans une autre forme d’écriture. Je n’ai pas participé au scénario. J’ai été satisfaite du résultat par rapport à la lenteur, la présence de la forêt. Le lac pour montrer le passage du temps. Faire le pari de la lenteur au cinéma n’est pas toujours réussi.

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