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Échos de la coulisse

27 octobre 2020

par : Martin Héroux

Originaire du Témiscamingue, Martin Héroux est un comédien québécois que l’on a eu la chance de voir tant à la télévision que sur les planches. C’est en 1995 que le grand public le découvre avec 4 et demi… On peut aujourd’hui le voir dans Alix et les merveilleux, 5e rang et District 31.

J'ai toujours aimé l'automne, c'est ma saison préférée. Il y a autant de raisons d'aimer l'automne qu'il y a de feuilles au sol. Mais pour moi, cet amour pour cette saison, c'est entre autres parce qu'en octobre c'est ma fête, que les arbres sont colorés comme des dessins d'enfants, que l'air est bon et frais, que les gros gilets de laine reprennent du service, que les récoltes sont généreuses, que la terre célèbre l'abondance, mais surtout, lorsque j'étais plus jeune, je prenais plaisir à « courir » l'Halloween.

La grande joie de trouver un déguisement, parcourir les rues de Ville-Marie avec mes amis, sonner aux portes et recevoir des bonbons! Formidable et festive activité. Évidemment, c'est quelque chose que l'on fait pour le plaisir, c'est unique dans l'année, on n’en fait pas un métier! Non? Eh bien pour moi, depuis 32 ans, c'est l'Halloween tous les jours. En effet, mon métier c'est, entre autres choses, de me déguiser et de jouer à être quelqu'un d'autre.

Je vous parle de l'Halloween (qui sera ou non fêtée cette année, Covid oblige) car un de mes contrats les plus fous, plaisants, fascinants et exigeants jusqu’à présent dans ma carrière de comédien, fut celui de jouer pendant neuf ans Revue et Corrigée la revue de l'année au théâtre du Rideau Vert à Montréal.

D'abord, vous dire l'euphorie que procure cette plongée dans le monde des imitations, des personnifications de vedettes, de politiciens, de chanteurs de la société québécoise, c'est en soi un saut dans le vide absolument terrifiant, mais grisant au possible. Chanter, danser, imiter, jouer et aussi quelquefois écrire des sketchs de 30 secondes à huit minutes, c'est essoufflant, d'autant qu'en 1 h 15 environ, souvent sans entracte, nous faisions bon an mal an, jusqu'à 45 sketchs avec cinq ou six comédiens/comédiennes, et ce pendant 40 représentations!

Imiter Pierre Bruneau, sur scène, en direct devant lui un soir de première, le regarder rire ou écouter la salle s'esclaffer alors que je joue Denis Coderre et que je vais le rejoindre dans la salle pour lui tendre le micro et mon cellulaire afin de faire le seul selfie double de monsieur Coderre, qui était alors en élection. Pas besoin de vous dire qu'il était très heureux de se prêter au jeu! Chanter en imitant PKP et ses déboires avec le PQ et sa Julie, alors qu’il vient nous retrouver à la fin du spectacle pour nous féliciter et nous dire qu'il a adoré que l'on se foute de sa gueule et qu'il l'a bien mérité. Retrouver Pauline Marois en loge après le spectacle, parce qu'elle a adoré l'imitation que Suzanne Champagne en a faite et l'entendre nous dire que les fous du roi comme nous sommes une soupape essentielle à la population, que c'est du divertissement, oui, mais aussi une façon de vivre sainement notre démocratie. C'est plaisant à entendre et ça donne des ailes et un sens pour poursuivre encore quelques années ce métier de saltimbanque.

Une autre de mes nombreuses anecdotes fut d'avoir écrit avec l'ami Alain Zouvi, alors metteur en scène du spectacle sous la direction de LA Denise Filiatrault (j'y reviendrai à elle plus loin) un sketch saluant le départ de Gilles Latulippe, pour qui j'avais une grande admiration. Mon imitation de Gilles Latulippe, qui selon Denise, était parfaite et un sketch qui réunissait La Poune, Manda et Olivier Guimond, déjà au ciel et Saint-Pierre recevant Latulippe aux portes du Paradis. Un feu roulant de blagues et un rythme rappelant le Théâtre des Variétés. Drôle et touchant à la fois. Immense privilège aussi que de voir son fils Olivier nous dire après le show que son papa aurait été fier de voir ce sketch et qu'il n'aurait pas écrit mieux!

Une dernière, celle-ci datant de 2010, où je personnifiais Michel Chartrand en haranguant la foule de ne pas se laisser berner par nos polis ti-chiens! Une façon de faire de la politique et de l’éveil social et citoyen sans se faire élire. Toutes ces anecdotes, et beaucoup d'autres, sont à se tordre de rire, mais le plus cocasse et un personnage encore plus truculent et original, reste la directrice du Rideau Vert elle-même, celle qui chapeaute la revue depuis les tout débuts, la « Fillia, comme on l’appelle dans le milieu, la grande et éternelle Denise Filiatrault.

À elle seule, elle donne à voir et entendre plus de 70 ans de showbizz au Québec. Elle nous a raconté la vie des cabarets de l'époque, elle a connu tout le monde et a joué et chanté partout. Elle a créé des téléromans, des pièces, joué à la télé, au cinéma, au théâtre, à la radio... une femme et une artiste complète. Vient avec ça une réputation de forte en gueule, de caractère de cochon. Oui, c'est vrai à de multiples niveaux, mais faut savoir qu'elle s'est grandement battue, presque seule femme dans le milieu machiste de l'époque. C'est pour cela qu'elle met de l'avant le travail bien fait et le talent. Nous avons subi plus d'une fois ses foudres, lors des répétitions de Revue et Corrigée, mais malgré nos réticences et nos doutes sur ses propositions, ses coupures de textes ou carrément de personnages, elle avait 90 % du temps absolument raison. Elle a le rythme en elle, l'oreille de l'efficacité en humour. C'est rare; taisons-nous et apprenons.

Elle m'a dirigé dans plusieurs Revue et Corrigée et dans Scapin aussi à Juste pour rire en 2011. C'était fou et drôle à la fois, mais toujours elle se souciait du public. « Il faut qu'ils trouvent cela drôle et le comique c'est du rythme, c'est de l'écoute et du rythme... et beaucoup de travail », disait-elle. Elle a absolument raison.

Denise, une femme truculente et caricaturale, peut-être! Un beau personnage à faire à l'Halloween aussi, pourquoi pas? Mais à coup sûr, une artiste qui a marqué la vie de plusieurs, moi le premier. J’ai beaucoup appris sur le comique avec elle. « Les vieux arbres ne donnent pas de vieilles pommes », disait Félix Leclerc. Denise c'est un arbre de bientôt 90 ans et qui toujours donne du fruit!

Et vous, à votre jeune âge, avez-vous commencé à donner du fruit, ou pour les plus vieux, donnez-vous encore et toujours le même fruit ou de nouveaux fruits à chaque saison qui vient? L'adaptabilité, c'est la clé de la vie éternelle et à en juger madame Filliatrault, ça semble bel et bien vrai!

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