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Il était une fois, dans le Témis de jadis... Un métier disparu

28 octobre 2020

par : Dominique Roy

photo : Edmond et Jean-Marie Lacasse qui ferrent un cheval - Courtoisie de Benjamin Perron

L’histoire de la région est riche et l’héritage qu’elle laisse l’est tout autant. Au fil des ans, les souvenirs s’effritent et la réalité d’autrefois s’estompe. Avec cette chronique, nous voulons ancrer les souvenirs d’une époque révolue dans la mémoire collective des Témiscamiens. Arrêtons-nous chez le forgeron du village, un métier disparu que l’on pouvait jadis qualifier de service essentiel.

L’héritage familial

Au Témiscamingue, presque chaque village avait sa forge et son forgeron, parfois même deux, comme c’était le cas à Laverlochère. Il y avait la forge de la campagne, située à l’ancienne gare, sur la route 382, dont de nombreux propriétaires se sont succédé, et celle du village, sur la rue Principale, appartenant à Jean-Marie Lacasse. C’est dans un livre biographique, écrit par sa sœur, Annette Lacasse-Gauthier, que le métier de cet homme est raconté dans ses moindres détails.

On y apprend que le jeune Jean-Marie a suivi les traces de son père Edmond, déménagé au Témiscamingue en 1908. Parti de St-Côme de Joliette, Edmond avait choisi le Témiscamingue comme région d’accueil parce que les terres y étaient plus fertiles, ce qui signifiait plus de cultivateurs, plus de chevaux, donc, plus d’ouvrage. Dans sa forge, située à Lorrainville, il y a enseigné le métier à ses fils Charles-Hector (qui deviendra forgeron à Lorrainville) et Jean-Marie (qui achètera la forge de Luc Dubois à Laverlochère). C’est avec fierté et enthousiasme qu’Edmond répétait : « J’ai montré à mes garçons un métier qui ne s’éteindra jamais… ».

Voler de ses propres ailes

C’est donc en 1929 que Jean-Marie achète le commerce de la femme de Luc Dubois, dont le mari était décédé subitement. Le contrat de vente comprenait un terrain de 200 X 100 pieds, une boutique de forge avec son outillage, une maison d’un étage et demi et une écurie… tout ça pour la somme de 2300 $, un très bon prix pour l’époque.

Le métier

Forger n’était pas un métier de tout repos. Il fallait une véritable santé de fer et une forte constitution, parce que c’est accroupi sous les chevaux que Jean-Marie y passait sa journée, même sous les grosses chaleurs. Et quand la besogne ne pouvait se faire en position accroupie, le forgeron devait supporter le poids de la bête avec son dos puisque celle-ci peinait à tenir en équilibre sur trois pattes pendant que Jean-Marie ferrait la quatrième. « Dans ce temps-là, on ferrait un cheval en neuf pour 1,25 $ pour les quatre pattes », relate Jean-Marie dans les récits de sa vie.

L’automne était une saison occupée. Les hommes partaient pour les chantiers avec leurs chevaux. L’ouvrage pressait. En plus de ferrer les chevaux, il réparait ou changeait les ferrements des sleighs servant à transporter les billots ou autres charges et remettait à neuf les grands traîneaux montés sur quatre patins de bois, vissés à des lices de fer permettant de faire glisser leur charge sur des routes de neige, de terre, de gravelle et de sable. Dans les faits racontés par madame Lacasse-Gauthier, il est question d’un système ingénieux imaginé par le petit Richard, l’un des fils de Jean-Marie. Une journée d’automne, il y avait une vingtaine de chevaux en attente dans la cour. Richard avait proposé d’utiliser la corde à linge plutôt que d’attacher les chevaux un peu partout autour de la boutique. Il suffisait de suivre l’ordre en prenant le premier du bord et en allant le rattacher tout au bout de la corde à linge une fois ses quatre pattes ferrées. Non seulement le système n’a pas été breveté, mais jamais il n’a été utilisé par son père, cet homme d’expérience qui avait sa méthode bien à lui.

Au printemps et en été, il fallait réparer les bogheis dont les roues se déboîtaient de leur bandage de fer, fabriquer des tenailles, des pinces à glace, des anneaux de chaîne, des pentures et toute autre nécessité en fer. Les clients débarquaient aussi à la boutique pour l’effilage des couteaux et les réparations de soudure ainsi que pour limer les dents des chevaux lorsqu’elles ne s’usaient pas de façon égale. De plus, le forgeron était parfois sollicité pour ferrer quelques chevaux sur des lieux bien précis, dont les chantiers.

Dans les dernières années de sa pratique, Jean-Marie aimait bien s’adonner au fer ornemental pour fabriquer clôtures, contours de galerie, chaises berçantes, tables de salon, bibliothèques, étagères, etc. Une visite attentive des rues et des rangs de Laverlochère permet encore d’admirer les créations en fer forgé de ce véritable artisan, entre autres, les rampes du perron de l’église, la clôture entourant le cimetière et les contours de galerie de plusieurs maisons.

La forge

La boutique, c’était aussi un lieu de rassemblement. Comme il n’y avait pas de taverne dans le village de Laverlochère, la forge de Jean-Marie servait de réseau social pour certains qui s’y donnaient rendez-vous pour y jaser politique, religion et météo.

La disparition du métier

En 1960, à son grand regret, Jean-Marie ferma son commerce qui n’était plus rentable et il devint contremaître à la Voirie jusqu’à sa retraite en 1971. La forge fut démolie en 1979. La disparition du métier de forgeron est due aux progrès technologiques qui ont entraîné une diminution du nombre de chevaux sur la ferme. Quant à la machinerie agricole, elle requérait un outillage et un entretien différents pour lesquels Jean-Marie n’était ni préparé ni formé. L’arrivée du tracteur a donc contribué à l’extinction d’un métier jadis indispensable, celui de forgeron.

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