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La PEUR en lettres majuscules

21 avril 2020

par : Karen Lachapelle

Toute jeune, je me souviens que ma sœur et moi avions ramené de l’école de nouveaux petits amis : des poux. Quelle honte c’était, à l’époque! À un point tel qu’on en avait fait un gros secret familial. Il ne fallait pas que ça se sache! Avec du recul, je comprends que c’était surtout très irritant pour nos parents qui ont dû nous traiter ainsi que désinfecter la maison. On avait juste été malchanceuses à la loterie des poux!

Avec la COVID-19, j’ai l’impression d’être retournée à cette époque. Il y a eu des cas au Témiscamingue (ce qui était prévisible et tout à fait normal), mais de là à en faire une chasse aux sorcières… vraiment? La question qui brûle toutes les lèvres : est-ce qu’on connait les personnes infectées? En fait, on s’en fout! Ça donne l’impression qu’en 2020, au Témiscamingue, c’est moins gênant d’avouer d’être atteint d’une MTS (je sais, on dit maintenant ITS, mais dans mon vieux temps, alors que c’était en noir et blanc comme dirait mon jeune homme pour me taquiner, on disait MTS!) que la COVID-19. N’oublions pas que cette maladie est une grippe, très éprouvante et pour certains une dangereuse grippe, mais elle n’est pas honteuse. Doit-on vraiment savoir qui l’a eu ou non? Surtout que 30 % des gens ne seraient pas touchés – ce qui signifie que 70 % des personnes peuvent être infectées. Ce n’est pas moi qui le dis, mais Samuel Alizone, chercheur au Centre national de la recherche scientifique à Montpellier, en France.

Dans la nécessité de protéger nos aînés et les personnes vulnérables, le gouvernement a pris d’importantes décisions, dont celle de nous confiner. Il le fallait pour se préparer au pire. Je discutais avec des membres du personnel du CISSSAT qui me confirmaient que le système de santé avait besoin de temps pour s’organiser. Il ne fallait pas tous débarquer en même temps à l’hôpital. Entre temps, le message du gouvernement a été tellement efficace, qu’on ne veut plus sortir : la peur s’est installée.

Le premier ministre Legault a tenté de nous préparer à l’idée de recommencer l’école avant la fin de l’année. Plusieurs ont réagi fortement en utilisant le fait qu’on allait mettre la vie des enfants et des enseignants en danger : il leur est inconcevable de penser à un retour en classe avant l’automne. Mes pensées se sont alors dirigées vers les jeunes qui doivent espérer si fort d’y retourner au plus vite. Il y en a qui vivent dans des milieux toxiques, malheureusement. En discutant avec du personnel du milieu scolaire, on me racontait des horreurs et j’en étais secouée jusqu’à la moelle épinière. Les enseignants sont souvent les seuls adultes réconfortants pour ces jeunes qui font partie des grands oubliés. Je pense aussi aux parents d’enfants avec des besoins particuliers, par exemple les autistes, qui doivent prendre soin d’eux 24 heures sur 24. Le milieu scolaire offre un répit à ces parents-là…

Il y a des femmes (et des enfants) qui vivent dans la peur et qui sont confinées avec des hommes violents. Elles doivent davantage craindre eux que de la COVID-19. Et que dire des gens qui vivent isolés, sans contact? La solitude a aussi un prix qui peut s’avérer dispendieux.

Je pense aussi à tous les entrepreneurs des petites PME (entre autres aux propriétaires de bars, restaurants, aux gens de la culture ou du tourisme) qui ont mis leur cœur, leur sueur, leur argent dans leur entreprise et du jour au lendemain, ont tout mis sur pause sans date de retour. Je pense aux travailleurs qui d’un seul coup doivent vivre avec le casse-tête financier où le gouffre semble toujours plus s’ouvrir sous leurs pieds. Bonjour l’angoisse et l’anxiété.

J’ai confiance que le gouvernement a un plan de déconfinement, mais je fais partie de ceux qui doutent qu’on doive attendre jusqu’à l’automne pour retrouver un semblant de vie normale. Les dommages collatéraux seront énormes, sans compter que la deuxième vague de la maladie risque d’être encore plus difficile. On ne peut pas mettre toute une société sur pause par peur. Il faut (malheureusement) apprendre à vivre avec cette nouvelle peur.

De mon côté, il faut que j’apprenne à gérer le risque… J’aime faire du motocross, je fais des milliers de kilomètres par année en voiture (je connais la 117 par cœur), j’ai déjà sauté en parachute, je me suis mariée (!!!)… J’ai eu des enfants (oups, ça j’appelle aussi ça de la gestion de portefeuille). Ma vie est remplie de risques que je n’ai pas toujours pris la peine d’analyser. Être infectée de la COVID-19 en fait maintenant partie.

Je n’ai pas envie d’avoir peur de tout et de rien, peur de ramasser les clés qu’un homme a échappées à la poste (Ça m’est arrivé la semaine dernière. J’étais devant les pauvres clés sans défense et je n’ai pas osé y toucher, criant plutôt après l’homme pour qu’il vienne les ramasser. Je me suis sentie bête). Je me conditionne donc depuis plus d’une semaine sur le fait que je serai probablement parmi les 70 % de gens infectés, que ce sera souffrant, mais après, je serai immunisée.

Je ne suis pas virologue, ni spécialiste en santé, mais j’ai confiance en nos professionnels. J’ai confiance en l’expertise qu’on a au Québec. Si cette expertise me dit que l’on peut renvoyer nos enfants à l’école, mes enfants retourneront sur les bancs d’école (ils sont prêts, croyez-moi!). Il faudra tous apprendre à vivre avec ce virus, mais surtout apprendre à vivre avec la peur. Et malheureusement, on en a encore pour plusieurs mois, voire des années avant d’avoir un vaccin…

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