Rien ne va plus à l’Université Laurentienne de Sudbury. Au début du mois de février, on apprenait que l’établissement bilingue s’était placé sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies puisqu’elle vit de graves difficultés financières. En avril, l’université annonçait que 28 programmes d’études en français n’existeraient plus, et qu’au total, ce sont 69 programmes et 110 postes de professeurs qui seront coupés.
Des problèmes financiers majeurs
En janvier dernier, Ross Romano, ministre de la Formation et des Collèges et Universités en Ontario, a nommé Alan Harrison comme conseiller spécial afin d’étudier la situation de l’Université Laurentienne. Dans son rapport préliminaire, monsieur Harrison précise que l’université a des problèmes financiers depuis fort longtemps. En fait, il lui était impossible de dire avec précision depuis combien de temps l’établissement était dans une zone d’insolvabilité. Chose certaine, la situation dure depuis près d’une décennie. Parmi les chiffres précisés, le rapport fait état d’un déficit de 5,6 millions $ en 2020-2021 et les prévisions font grimper ce déficit à 22 millions $ pour l’année 2025-2026. Avec ces données, il est possible d’en conclure que l’endettement actuel se chiffre à plusieurs millions de dollars. « Je n’ai jamais rien vu d’aussi grave que cette situation », a mentionné Alan Harrison.
Robert Haché, recteur de l’université, n’a pas tardé à prendre la parole publiquement pour expliquer les causes de ce déficit : pression accrue des déficits récurrents, déclin démographique dans le nord de l’Ontario, réduction et gel des frais de scolarité imposés en 2019 et diminution des revenus en raison de la pandémie. Rapidement, la Laurentienne a été pointée du doigt pour sa mauvaise gestion financière gardée bien secrète. Entre autres, le rapport mentionne l’utilisation d’une ligne de crédit et d’une dette de 90 millions $ envers les banques. L’université a aussi dépensé des sommes d’argent prévues pour ses activités de recherches afin de payer ses factures courantes. Il en va de même pour des sommes reçues pour réaliser des projets spécifiques, des sommes allouées au Régime de prestations de maladie pour les personnes retraitées et des bourses d’études.
Des répercussions préoccupantes
Martin Breault est conseiller en orientation à l’École secondaire catholique Sainte-Marie de New Liskeard. Son rôle l’amène à suivre de près la situation puisque l’Université Laurentienne est une destination postsecondaire choisie chaque année par 30 % de sa clientèle préuniversitaire. « Quand j’ai vu la liste des programmes abolis pour la première fois, je me suis jeté à mon ordinateur afin de vérifier si nos élèves avaient été affectés. Sur les quatre élèves qui avaient accepté une offre de Laurentienne, seulement un a vu son programme en Histoire supprimé. » Monsieur Breault ajoute que l’abolition de programmes n’a nullement affecté les huit élèves de Sainte-Marie qui s’y étaient inscrits l’an dernier ni les neuf autres de la cohorte de l’année 2019. « Par chance, la plupart des programmes abolis n’intéressaient pas nos élèves. » Notons que la liste des programmes abolis a officiellement été publiée pendant que les élèves du secondaire étaient en semaine de relâche et que les étudiants de la Laurentienne étaient en période d’examens.
La suppression de nombreux programmes risque d’affecter durement la vitalité culturelle, sociale et économique du nord de l’Ontario. « Honnêtement, je suis vraiment surpris que le programme de Sage-femme (anglais et français) soit aboli, surtout que c’est un programme contingenté ayant la réputation d’être très compétitif. Je crois aussi que la perte du programme de Génie minier va nuire à nos régions environnantes », s’inquiète le conseiller en orientation. Le domaine de l’éducation souffrira également de la situation puisque la pénurie d’enseignants est présente sur l’ensemble du territoire ontarien. « Pour ce qui est de notre région du Témiskaming, ce serait tout programme qui prépare nos futurs enseignants. Que ce soit en Histoire, en Géographie ou en Mathématiques, la plupart de nos jeunes qui veulent se lancer en enseignement aimeraient bien demeurer près et revenir dans la région. La fermeture de l’option Intermédiaire/Supérieure du Bac. en Éducation, permettant d’enseigner au niveau de la 11e et 12e année au secondaire, va assurément nuire à notre région. La grande majorité de nos enseignantes et enseignants à l’ESCSM ont reçu leur brevet d’enseignement de l’Université Laurentienne. »
Malgré toute cette saga, monsieur Breault demeure positif. « La plupart de nos élèves choisissent de poursuivre leurs études postsecondaires en français autant au collège qu’à l’université. Certains changent de programme ou de destination d’études en cours de route et c’est souvent pour le côté anglophone. Toutefois, je continue à croire qu’il va toujours y avoir un besoin pour étudier en français, nous sommes une communauté fière et résiliente. Pour ce qui est de mon rôle comme conseiller en orientation, je vais continuer à encourager les études postsecondaires en français. J’ai confiance qu’il y aura une certaine stabilité à Laurentienne une fois que cette pandémie sera maîtrisée. À mon avis, l’Université Laurentienne est, et sera toujours, un établissement familier et important pour les gens du Nord, il faut continuer à se battre pour la conserver. »